Nathalie Desmasures
« Disposer de “micro-organismes signature” »
Nathalie Desmasures, enseignante en écologie microbienne à l’Université de Caen-Normandie, présente la souchothèque montée en lien avec les AOP normandes.
Quelles sont les grandes caractéristiques de votre souchothèque ?
Elle s’est constituée au fil des trente dernières années, au gré de programmes menés en partenariat avec les filières fromagères AOP de Normandie. Notre laboratoire dispose d’une souchothèque globale contenant 11 000 isolats, dite « Collection UCMA ». A l’intérieur, nous avons plus particulièrement identifié un sous-ensemble de 5 000 isolats issus de l’environnement laitier normand (pâturages, abreuvoirs à la ferme, matériel de traite, lait cru, environnement des fromageries, fromages eux-mêmes…). L’autre partie vient d’autres régions françaises ou d’autres substrats (bières, fruits…). Le sous–ensemble laitier s’appelle le « Conobial » pour Conservatoire normand de la micro-biodiversité alimentaire. Financé principalement par le Conseil régional de Basse-Normandie, il a été inauguré en juin 2015.
Quels types de micro-organismes recelle-t-il ?
Le Conobial est unique par la diversité des groupes microbiens qu’il renferme : bactéries à Gram positif et négatif, levures, moisissures… Nous sommes également en train d’initier une collection de bactériophages. Des travaux d’identification et de caractérisation ont été initiés mi-2014. Pour l’instant, grâce au séquençage ADN, nous avons pu identifier 1 000 de nos 5 000 isolats. Sans se concentrer sur une famille en particulier : les opérateurs des filières ont demandé des représentants de toutes les grandes catégories. Nous avons simplement exclu les pathogènes.
Nous allons poursuivre l’identification totale des 5 000 isolats, tout en commençant à caractériser ceux qui sont déjà identifiés : la caractérisation se fait sur des critères d’intérêt technologique (pouvoir acidifiant, capacité de pigmentation, pouvoir d’aromatisation, effet barrière…). Ce n’est qu’alors qu’on pourra permettre l’utilisation de la souchothèque. Il nous faut aussi nous assurer aussi de l’innocuité des isolats. Les tout premiers isolats devraient être disponibles d’ici 4 ou 5 ans.
En pratique, qui pourra les utiliser ?
Les isolats du Conobial appartiennent soit à l’Université de Caen, soit sont la copropriété des filières fromagères de Normandie et de l’Université. Ils seront accessibles uniquement aux opérateurs liés aux ODG et aux chercheurs liés à l’Université ou partenaires.
Comment sont conservés ces isolats ?
Par congélation à – 76 degrés, en double exemplaire. Depuis peu, nous avons mis parallèlement en place un second mode : la lyophilisation. A terme, chaque isolat sera ainsi conservé en trois exemplaires (deux sous forme congelée, un sous forme lyophilisée), le tout étant placé dans des lieux différents pour parer à tout accident.
Quels sont les objectifs poursuivis ?
L’idée principale est de renforcer le lien au terroir en disposant de « micro-organisme signature » . Cela peut être aussi de renforcer et réaffirmer des caractéristiques sensorielles des fromages.
Y a-t-il une vraie spécificité normande ?
C’est encore difficile à affirmer d’un point de vue scientifique. Nous sommes en train de lancer un projet de caractérisation de la microflore des prairies qui va se dérouler sur deux ans pour procéder à un état des lieux très détaillé. Nous pourrons alors être plus affirmatif !